09/08/2024 mondialisation.ca  15min #254467

 En Israël, on débat sur « le droit de torturer » les prisonniers palestiniens

Institutionnalisation du viol des détenus Palestiniens : le vrai visage d'Israël

Par  Oren Ziv

Bien qu'ils aient rapporté avec zèle et indignation les allégations de crimes sexuels commis par le Hamas le 7 octobre, se basant sur les seules déclarations de Tsahal, nos médias et élites sont très timorés face au déferlement de preuves de viols contre les détenus palestiniens, en plein génocide à Gaza. Un journal israélien dénonce ce niveau de dépravation caricatural comme le visage d'Israël.

Alain Marshal (NDT)

Image : Des soldats empêchent des manifestants d'entrer dans la base militaire de Beit Lid, le 29 juillet 2024. (Oren Ziv)

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Parmi la foule de centaines de militants israéliens de droite qui manifestaient devant la base militaire de Beit Lid dans la nuit du 29 juillet, un groupe de soldats masqués portant des armes se distinguait. Ces soldats étaient facilement identifiables grâce à l'illustration figurant sur leur badge : un serpent à l'intérieur de l'étoile de David, l'insigne de la Force 100. Créée au lendemain de la première Intifada, la Force 100 est une unité de Tsahal chargée de surveiller les détenus palestiniens et de réprimer les soulèvements dans les prisons militaires. Depuis octobre, cette unité gère également la  base militaire de Sde Teiman, où des Palestiniens de la bande de Gaza sont détenus, maltraités et torturés.

Les soldats sont venus à Beit Lid pour soutenir dix de leurs camarades qui avaient été arrêtés parce qu'ils étaient soupçonnés d'avoir violé un détenu palestinien à Sde Teiman, et exiger leur libération. Selon Physicians for Human Rights – Israel (Médecins pour les droits de l'homme), le détenu a été hospitalisé il y a trois semaines avec de graves blessures au rectum. Plus tôt dans la journée de lundi, des manifestants et des membres d'extrême droite de la Knesset [parlement israélien] se sont rassemblés à l'extérieur de Sde Teiman après que la police militaire israélienne a pénétré dans la base pour arrêter les suspects, parmi lesquels se trouvait un commandant de la Force 100.

Les images de la scène de viol en réunion diffusées sur la chaine israélienne Channel 12. Lors d'une audition parlementaire à ce sujet, un échange choquant a été capté : « – Enfoncer un bâton dans le rectum d'une personne, c'est légitime ? – Oui, tout est légitime ! Si le détenu appartient aux Nukhba, tout est légitime. Tout ! » s'est écrié Hanoch Milwidsky, député du Likoud, le parti de Netanyahou.

« L'avocate général des armées [Yifat Tomer-Yerushalmi] aime les Nukhba », pouvait-on lire sur une pancarte à l'extérieur de Beit Lid, en référence à l'unité militaire d'élite du Hamas dont des membres seraient détenus à Sde Teiman selon les manifestants. « L'avocat général des armées est un criminel », scandait une autre pancarte.

Même les législateurs se sont joints aux attaques contre Tomer-Yerushalmi. « Je suis venue à Sde Teiman pour dire à nos combattants que nous sommes avec vous, que nous vous protégerons », a déclaré la députée d'Otzma Yehudit (Pouvoir juif) Limor Son Har-Melech, dans une vidéo  postée depuis l'extérieur du centre de détention. « Nous ne permettrons jamais à la criminelle avocate générale des armées de vous faire du mal. Elle se soucie des terroristes de la Nukhba et de leurs droits, au lieu de se soucier de nos combattants, elle les affaiblit. L'histoire la jugera et nous la jugerons aussi ». Les manifestants ont scandé « Traîtres ! » à l'adresse des soldats et des policiers qui gardaient Beit Lid.

Outre les membres de la Force 100, les manifestants comprenaient des  kahanistes, des jeunes colons des  collines de Cisjordanie occupée, des partisans du Premier ministre Benjamin Netanyahou et des téléspectateurs de la chaîne de télévision  Channel 14. Dans le passé, on pouvait dire que ces groupes constituaient une minorité politique. Mais aujourd'hui, ils font partie du gouvernement, ils dirigent les forces de l'ordre du pays et ils sont le visage d'Israël. Un  journal israélien a titré que les manifestants avaient « déclaré la guerre à l'État d'Israël », mais ils sont en fait l'État, comme le montre le soutien qu'ils ont reçu de la part de ministres et de parlementaires.

Des membres de l'unité 100 de Tsahal participent à une manifestation devant la base militaire de Beit Lid, le 29 juillet 2024. (Oren Ziv)

Pendant la majeure partie de la manifestation, des soldats masqués de la Force 100 se sont tenus directement devant les quelques policiers et soldats qui tentaient d'empêcher les émeutiers d'entrer dans la base. Pourtant, les officiers de garde n'ont pas fait grand-chose pour disperser la foule.

La police n'a pas utilisé de chevaux ni de canons à eau, des tactiques familières à tous les Palestiniens, Éthiopiens ou Israéliens ultra-orthodoxes qui ont osé manifester. Même lorsque les manifestants ont franchi les entrées et se sont introduits dans Sde Teiman, puis dans Beit Lid, personne n'a été arrêté ni même identifié par la police. Ce n'est qu'au bout de plusieurs minutes que des soldats, certains munis de boucliers et de matraques, ont évacué de force les émeutiers de Beit Lid. Lors des manifestations antigouvernementales massives de 2023, certains manifestants se sont vu  retirer leur permis de port d'arme et d'autres ont été  retirés du service de réserve de l'armée après avoir été arrêtés ; il est clair que rien de tout cela n'arrivera aux émeutiers de lundi.

« J'ai donné un coup de pied au photographe de B'Tselem »

Les Palestiniens et les militants anti-occupation de Cisjordanie connaissent bien le spectacle terrifiant des milices israéliennes armées. Ces dernières années, des hommes masqués, soldats et colons, ont été les principaux agents des lois oppressives de l'occupation, allant jusqu'à donner des ordres à la police israélienne et à d'autres soldats. Depuis le début de la guerre contre Gaza, des milices juives opèrent dans tout le pays sous le couvert de « brigades d'alerte ». Lundi, il n'était donc pas anormal de voir les miliciens armés se promener sans entrave autour de la manifestation.

Sur le terrain, il était clair que la police ne voulait tout simplement pas évacuer les manifestants de Beit Lid. Plus tôt dans la journée, lorsque les manifestants ont pénétré dans Sde Teiman, la police aurait refusé la demande d'aide de l'armée. Le ministre de la défense, Yoav Gallant, a  demandé l'ouverture d'une enquête pour déterminer si le ministre de la sécurité nationale, Itamar Ben Gvir, a délibérément entravé la réaction de la police aux émeutes.

Comme il n'y a pas eu d'affrontements sérieux avec la police ou les soldats, de nombreux manifestants ont déversé leur colère sur les médias : ils ont attaqué, insulté et craché sur les journalistes, à l'exception de l'équipe de la chaîne de droite Channel 14, qui a été accueillie par des applaudissements.

Manifestants devant la base militaire de Beit Lid, le 29 juillet 2024. (Oren Ziv)

« J'ai donné un coup de pied au photographe de B'Tselem » [association israélienne de défense des droits de l'homme], s'est vanté un manifestant à son ami, après avoir attaqué un photojournaliste étranger et avoir été repoussé par d'autres manifestants. « Brahnu, on t'aime, mais on déteste Al Jazeera », ont-ils lancé au journaliste de Channel 12 News, Brahanu Teganya.

« Il est interdit de photographier, c'est contraire à la loi », a menacé un manifestant en s'approchant des photographes. Cette interdiction n'existe pas, mais en ce qui concerne les manifestants, c'est eux qui font la loi.

Mardi, le tribunal militaire israélien de Beit Lid a tenu une audience à huis clos pour les dix soldats ; deux d'entre eux ont été libérés plus tard dans la soirée. Cette fois-ci, un grand nombre de policiers ont encerclé le bâtiment, tandis que quelques dizaines de manifestants se tenaient à l'extérieur. Un jeune manifestant a brandi une écharpe ornée d'un drapeau palestinien en criant : « Voilà ce que l'avocat militaire a perdu ! »

Hila, l'épouse d'un des soldats arrêtés, s'est adressée aux médias à l'extérieur du tribunal. En raison d'une interdiction de divulguer des informations sur les suspects, elle a refusé de donner son nom de famille.

Manifestants devant la base militaire de Beit Lid, le 29 juillet 2024. (Oren Ziv)

« Mon mari est au combat depuis le 7 octobre en tant que soldat de réserve, a-t-elle déclaré. Il a été amené ici hier pour être détenu, d'une manière humiliante et honteuse. Je ne crois pas que notre pays puisse agir de la sorte, et je suis ici pour faire entendre sa voix et celle des autres soldats ».

En ce qui concerne les accusations de viol, elle a déclaré : « C'est le témoignage d'un méprisable combattant de la Nukhba, avec du sang sur les mains, qui a osé se plaindre, et tout le pays se déchaîne à cause de cela. Nous ne devons pas oublier qui est notre véritable ennemi. Nous sommes face à des monstres, une organisation terroriste, et je dis que nous les vaincrons ».

Deux visions de la violence israélienne

La source de la colère des manifestants, tant à Sde Teiman qu'à Beit Lid, est que les forces de l'ordre israéliennes ont osé interroger des soldats. Pour eux, les soldats méritent une immunité totale —même s'ils commettent des viols. Comme  l'a dit le député Tali Gottlieb : « Quels que soient les soupçons, dès lors que ce sont des soldats et des combattants qui gardent les terroristes de la Nukhba, personne ne les mettra aux arrêts ».

Cela marque un nouveau point bas dans le discours public israélien, même si, compte tenu du climat public depuis le 7 octobre, ce n'est pas surprenant. Depuis des décennies, dans la grande majorité des cas, les soldats ne sont presque jamais tenus pour responsables des atrocités qu'ils ont commises — même celles qui s'apparentent à des  crimes de guerre. Selon de multiples enquêtes de +972, les soldats de Gaza ont été autorisés à  piller, vandaliser, tirer et tuer à leur guise, au vu et au su de leurs commandants sur le terrain.

Dans les médias israéliens, les émeutes de Beit Lid ont été présentées comme une lutte entre l'armée et la police, ou entre l'État israélien et la foule. Mais c'est loin d'être le cas. La politique de l'armée consistant à fermer les yeux sur les milices de droite en Cisjordanie et à soutenir les actions de soldats isolés, ainsi que les meurtres et les destructions systématiques à Gaza, est précisément ce qui nous a conduits à cette situation, où l'interrogatoire de soldats soupçonnés de viol provoque des protestations aussi violentes, soutenues par des personnalités du gouvernement.

Des soldats empêchent des manifestants d'entrer dans la base militaire de Beit Lid, le 29 juillet 2024. (Oren Ziv)

Mais les événements de lundi soir montrent également un autre élément de cette histoire : les limites du pouvoir de l'extrême droite. Même s'ils peuvent ostensiblement changer la politique eux-mêmes, par exemple en adoptant une loi sur l'immunité des soldats, les membres de la coalition doivent encore manifester contre leur propre gouvernement pour faire entendre certaines de leurs demandes les plus extrêmes. Cette situation révèle donc certaines des tensions qui subsistent au sein de la coalition au pouvoir.

Il est difficile de dire si ce cas de viol de prisonnier — parmi des milliers de témoignages sur les  abus dans les prisons et les centres de détention — a donné lieu à une enquête et à des arrestations publiques en raison de sa gravité ou parce qu'il y avait trop de témoins. Il est également difficile de dire avec certitude si les mouvements ont été motivés par la nécessité de montrer, dans le contexte des  enquêtes internationales, que le système israélien peut demander des comptes à ses soldats « voyous ».

Mais ce qui est clair, c'est que l'émeute de lundi représentait un combat entre deux Israëls. Le premier est celui de la « mamlachtiyut » — une éthique nationale qui révère les institutions de l'État, qui ouvre le feu mais enquête parfois, qui tue mais en limitant quelque peu les « dommages collatéraux », qui commet des crimes de guerre mais ne s'en vante pas. L'autre camp est celui qui est fier des crimes commis par Israël, qui refuse de s'en excuser et qui cherche à abolir toutes les restrictions légales visant à limiter la violence débridée, même si cela signifie entrer en conflit avec l'État.

Ce dernier camp est devenu de plus en plus le visage public d'Israël et a contribué à amener le pays devant la Cour internationale de justice et la Cour pénale internationale de La Haye. L'obligation de rendre des comptes au niveau international pourrait éventuellement diminuer le pouvoir des extrémistes en Israël, tant à l'intérieur qu'à l'extérieur du gouvernement. Cependant, la voie à suivre, alors que des soldats masqués prennent les rênes du pouvoir dans les rues, ne peut que devenir plus violente.

Oren Ziv

Article original en anglais :  972mag.com

Traduction :  Alain Marshal pour son blog

 blogs.mediapart.fr

+972 Magazine est la version anglaise du site israélo-palestinien « Siha Mekomit » (« Appel local » en hébreu), lancé en 2010 par Noam Sheizaf, un contributeur régulier à Foreign Affairs et Foreign Policy. Ce média réunit une dizaine de rédacteurs provenant d'Israël et des Territoires palestiniens occupés, dont d'anciennes plumes d'Ha'aretz, le principal journal de la gauche israélienne.

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Oren Ziv est photojournaliste, reporter pour Siha Mekomit et membre fondateur du collectif de photographes Activestills.

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Note du traducteur (Alain Marshal) :

Si ce n'est déjà fait, je vous invite à signer et à faire largement circuler  cette pétition sur change.org, qui appelle à ma réintégration à la CGT, d'où j'ai été exclu le 12 avril pour avoir initié une pétition dénonçant les positions ambigües de la Confédération suite au 7 octobre et demandant un soutien authentique à la cause palestinienne (que vous pouvez également  lire et signer ici). L'UNSEN (Union Nationale des Syndicats de l'Education Nationale de la CGT) a confirmé mon exclusion après une audience d'appel tenue le 21 juin, sur laquelle je reviendrai prochainement. Un pourvoi auprès de la Confédération est en cours.

En particulier, voici le message, adressé sur le groupe Whatsapp des membres de la CGT Educ'action du Puy-de-Dôme le 4 novembre 2023, qui a déclenché le processus d'éviction (lire la totalité de l'échange en question  sur ce lien) :

« Je viens de lire le dossier Gaza de la revue nationale de la CGT, et je suis vraiment consterné.

L'histoire se souviendra de tous ces ‘amis' de la Palestine qui rivalisent de zèle pour répandre la propagande de l'armée israélienne sur les massacres du Hamas qui ont tué des centaines de femmes et d'enfants, alors même que les données disponibles le réfutent, et lui servent de couverture dans son génocide bien réel, tout en répandant insidieusement le cliché raciste selon lequel les Palestiniens, comme tous les Arabes, sont juste des assassins et des violeurs. Après les couveuses du Koweït, les armes de destruction massive de Saddam et le viagra de Kaddhafi, il y en a encore pour tomber massivement dans le panneau.

Le 7 octobre n'était pas un massacre mais une opération militaire qui a anéanti l'équivalent d'un bataillon de la Brigade de Gaza voire davantage, comme le montrent les seuls chiffres existants publiés à ce jour (par le journal israélien Haaretz), qui indiquent bien qu'au moins la moitié des tués Israéliens étaient des soldats (dont de nombreuses femmes, qui servent obligatoirement dans l'armée, et moins de 20 enfants).

De courageux Israéliens dénoncent les mensonges de l'armée israélienne qui font un amalgame délibéré entre militaires, colons/miliciens surarmés et civils, et accusent Tsahal d'avoir délibérément sacrifié ses civils en masse plutôt que de les laisser tomber vivants entre les mains du Hamas (doctrine Hannibal, officielle et bien connue).  En voici un exemple parmi tant d'autres.

Je compte écrire un courrier à la CGT nationale pour dénoncer leur position honteuse. »

En lisant tous les passages surlignés en vert de  la retranscription d'une réunion de Bureau du 10 novembre, où on a essayé de me forcer à démissionner à 9 contre 1, on se rend compte du caractère central de mes positions sur la Palestine dans cette volonté d'exclusion. Pour rappel,  Sophie Binet elle-même avait colporté l'accusation de « crimes sexuels » du Hamas, largement réfutée, notamment  par cet article de Norman Finkelstein.

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La source originale de cet article est  972mag.com

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